Les scientifiques du département de physique théorique mènent désormais leurs travaux de recherche depuis leur domicile. De quelle façon la vie professionnelle des quelque soixante-dix membres du département a-t-elle été bouleversée ? On serait tenté de penser que les théoriciens sont les mieux préparés à faire face au confinement, car l'isolement fait partie intégrante de leur processus de recherche. Gian Giudice, chef du département, donne un avis nuancé sur la question : « L'un des objectifs de notre département est d'offrir aux scientifiques un environnement équilibré entre besoin de solitude, qui est une source d'inspiration pour certains d'entre nous, et besoin de discussions et d'échanges, qui permettent à d’autres de s’épanouir. Bien entendu, en cette période de confinement, la balance penche vers la solitude. Le défi consiste donc à recréer des occasions d'interaction. »
En effet, le confinement a temporairement mis un terme aux réunions entre collègues et aux séminaires auxquels participaient les nombreux scientifiques visiteurs qui font du département de physique théorique un pôle important de la physique des particules. Heureusement, les mesures qui ont été mises en œuvre pour lutter contre l'isolement pourraient renforcer ce rôle central. En effet, à présent, outre les séminaires virtuels, des réunions informelles sur des domaines de recherche particuliers sont également retransmises librement, alors qu'auparavant seuls les théoriciens physiquement présents au CERN y avaient accès. Cette initiative, qui contribue à resserrer les liens entre les membres de la communauté de la physique des particules, se prolongera au-delà du déconfinement. Gian Giudice est heureux de constater que le taux de participation est toujours élevé, preuve que la communauté mondiale de la physique théorique est résolue à maintenir les liens étroits qui lui permettent de se développer. Des cafés virtuels, des discussions de groupe et d'autres activités virtuelles telles que les quiz contribuent également au sentiment de cohésion du département, malgré l'éloignement social.
Il est intéressant de noter que cette période pourrait se révéler bénéfique pour la recherche, dans la mesure où elle libère temporairement les scientifiques d'un rythme de travail parfois effréné. En effet, comme la plupart des scientifiques, les physiciens du département doivent généralement concilier colloques et conférences, tout en travaillant sous pression pour respecter des délais serrés et un rythme soutenu de publication. Gian Giudice espère ainsi que ces mois de relatif isolement leur permettront, dans un environnement plus calme, de prendre du recul et de donner naissance à de nouvelles idées révolutionnaires, de la même façon que Sir Isaac Newton, en l'annus mirabilis 1666, aurait fait de nombreuses découvertes lors de son séjour dans sa ville natale, alors qu’il avait été chassé de l'Université de Cambridge par la peste.
Il ne s'agit pas cependant d'idéaliser le confinement. Bien que le passage au stade 3 se soit déroulé sans problème pour le département de physique théorique, et qu'il ait entraîné des innovations intéressantes, le confinement a apporté également son lot d'inconvénients. Gian Giudice en cite quelques exemples, comme l'impossibilité de gagner en visibilité pour les personnes en début de carrière, ou l'absence de discussions informelles et spontanées entre collègues, ce qui lui manque cruellement. « Nous faisons tous et toutes face à la situation du mieux que nous le pouvons, mais nous avons hâte de retourner travailler dans nos bureaux. »