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Nobel : coup de projecteur sur la physique des particules

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two scientists in front of the Extreme light infrastructure facility

L'amplification par dérive de fréquence est la technique utilisée aujourd'hui pour les lasers de haute puissance, et notamment par le système High Average Power Advanced Petawatt Laser System (HAPL), récemment installé dans le complexe Extreme Light Infrastructure (ELI) en République tchèque (Image: LLNL)

Cette année, le prix Nobel de physique a récompensé deux inventions révolutionnaires dans le domaine de la physique des lasers. Le prix a été attribué conjointement à Arthur Ashkin, des laboratoires Bell (États-Unis), pour ses travaux sur les pinces optiques, et à Gérard Mourou, de l'École polytechnique de Palaiseau (France) et Donna Strickland, de l'Université de Waterloo (Canada) « pour leur méthode de génération d'impulsions optiques ultra-courtes de haute intensité ».

 

La technique développée par Gérard Mourou et Donna Strickland, appelée amplification par dérive de fréquence (CPA en anglais), ouvre de nouvelles perspectives pour la physique des particules. Proposée en 1985 comme fondement de la thèse de Donna Strickland, la technologie CPA rallonge temporellement (ou module) les impulsions lasers pour en réduire la puissance de crête, puis les amplifie avant de finir par les compresser, augmentant ainsi leur intensité. Cette technique est appliquée aux lasers haute puissance actuels et est employée dans le monde entier, notamment dans les domaines de la chirurgie oculaire et du micro-usinage.

 

Depuis le début, il était évident que la technologie CPA revêtait un grand potentiel pour le domaine de la physique des particules, et en particulier pour l'accélération par champ de sillage plasma, technique de pointe par laquelle des particules chargées sont accélérées jusqu'à des énergies élevées sur de très courtes distances en les faisant « surfer » sur des vagues de plasma.

« Lorsque nous avons inventé l'accélération par champ de sillage laser en 1979, je savais très bien que la technologie laser n'était pas suffisamment avancée pour parvenir à générer les champs de sillage, car ces derniers nécessitent des impulsions ultrarapides et ultra-intenses » explique Toshiki Tajima, de l'Université de Californie d'Irvine. Toshiki Tajima a appris l'existence de la technologie CPA en 1989 et, quelques années plus tard, a commencé à collaborer étroitement avec Gérard Mourou. Ensemble, ils ont développé des lasers de très haute intensité ainsi que leur application aux accélérateurs, y compris à ceux utilisés à des fins médicales et à d'autres fins, comme la transmutation et les rayons X intenses.

 

À l'heure actuelle, des accélérations d'un ordre de grandeur de deux à trois gradients au-dessus de celles obtenues grâce aux techniques utilisant les radiofréquences sont possibles dans les expériences exploitant le champ de sillage plasma généré par des lasers de pointe, ce qui laisse augurer la création d'accélérateurs de particules plus compacts et potentiellement moins coûteux. Bien qu'ils n'aient pas encore atteint le niveau de qualité et de fiabilité des accélérateurs classiques, les accélérateurs plasma devraient, à terme, surmonter les contraintes de la technologie radiofréquence employée aujourd'hui, estime Constantin Haefner, directeur du programme de photonique avancée au Laboratoire national de Lawrence Livermore. « La course a commencé », a-t-il déclaré.

 

Comme les électrons, les protons peuvent être utilisés pour entraîner les accélérateurs plasma. Il y a quelques mois à peine, l'expérience du CERN AWAKE a réalisé la première accélération par champ de sillage plasma entraînée par des protons dans une longue cellule plasma. Même si dans le cadre d'AWAKE, le plasma n'est pas entraîné par laser, des lasers de haute puissance sont utilisés pour générer le plasma à partir de gaz, procédé qui amorce également le processus d'accélération.

Au-delà de son application aux accélérateurs, l'incroyable intensité de chaque impulsion produites par la technologie CPA ouvre la voie à de nouveaux types d'expériences de physique des hautes énergies. Celles-ci seront au centre de l'Extreme Light Infrastructure (ELI), dont la construction arrive à son terme en Hongrie, en République tchèque et en Roumanie. Lancée à l'initiative de Gérard Mourou en 2005, l'infrastructure ELI exploitera des lasers pétawatt de haute puissance tels que le High Average Power Advanced Petawatt Laser System (HAPLS) du Laboratoire national de Lawrence Livermore.

L'International Center for Zetta-Exawatt Science and Technology (IZEST), créé en France en 2011, augmentera la puissance de ses installations lasers pour leur faire atteindre l'exawatt et le zettawatt. Dirigé par Gérard Mourou et Toshiki Tajima, l'IZEST mène notamment des études sur la matière noire et l'énergie noire, et sonde la non-linéarité du vide par spectroscopie dynamique zeptoseconde.