Bien que les collisionneurs produisent un nombre énorme de neutrinos, il n’a pas encore été possible d’en détecter dans ces machines. Mais cela pourrait bien changer grâce à un tout nouveau détecteur, baptisé FASERν, que le CERN vient d’approuver pour l'expérience FASER. Ce petit détecteur, d’un coût modeste, sera placé à l'avant du détecteur principal de l'expérience FASER, et pourrait inaugurer une nouvelle ère dans le domaine de la physique des neutrinos auprès de collisionneurs de particules.
Depuis qu'ils ont été observés pour la première fois dans un réacteur nucléaire, en 1956, les neutrinos ont été détectés en provenance de nombreuses sources, comme le Soleil, les interactions de rayons cosmiques dans l'atmosphère, ou la Terre, mais jamais dans un collisionneur de particules. Cela est regrettable. En effet, la plupart des neutrinos créés dans des collisionneurs sont produits à des énergies très élevées, auxquelles les interactions de neutrinos n'ont pas été étudiées avec précision. Leur analyse pourrait apporter un nouvel éclairage sur ces particules fondamentales qui composent la matière, et qui restent à ce jour parmi les plus énigmatiques.
Si des neutrinos générés par des collisionneurs n’ont pas encore pu être détectés, c’est principalement pour deux raisons. Premièrement, ces particules interagissent très faiblement avec la matière environnante ; deuxièmement, elles échappent aux détecteurs des collisionneurs. En effet, les neutrinos de la plus haute énergie, ceux qui ont le plus de chances d'interagir avec les matériaux du détecteur, sont produits essentiellement au plus près de la ligne de faisceau (la ligne suivie par les faisceaux de particules dans le collisionneur). Or, dans les détecteurs classiques, en raison de l’ouverture qui laisse passer le faisceau, ces neutrinos ne peuvent pas être captés.
C'est là que FASER entre en jeu. Cette nouvelle expérience, approuvée en début d'année, s'intéresse aux particules légères interagissant faiblement, telles que les « photons noirs » - des particules hypothétiques qui pourraient porter une force inconnue liant la matière visible à la matière noire. L'expérience FASER, qui est soutenue par la Fondation Heising-Simons et la Fondation Simon, sera située au plus près de la ligne de faisceau du Grand collisionneur de hadrons (LHC), environ 480 mètres en aval de l'expérience ATLAS, position idéale pour détecter des neutrinos. La détection ne peut toutefois pas s’effectuer au moyen du détecteur principal de l'expérience.
« Étant donné que les neutrinos interagissent très faiblement avec la matière, pour pouvoir les détecter, on a besoin d'une cible faite d’un matériau très dense. Le détecteur principal de FASER ne dispose pas d'une telle cible et n'est donc pas capable de détecter des neutrinos, même si les collisions du LHC en produisent une énorme quantité », explique Jamie Boyd, co-porte-parole de l'expérience FASER. « C’est là qu'intervient FASERν. Le détecteur est constitué de films d'émulsion et de plaques de tungstène, et fait office à la fois de cible et de détecteur pour observer les interactions de neutrinos. »
FASERν ne fait que 25 cm de large, 25 cm de haut et 1,35 m de long, mais il pèse 1,2 tonne. Les détecteurs de neutrinos actuels sont généralement plus imposants ; par exemple, le détecteur de neutrinos souterrain Super-Kamiokande, au Japon, pèse 50 000 tonnes, et le détecteur IceCube, au pôle Sud, a un volume d'1 km3.
Après avoir évalué les capacités de l'expérience FASER en termes de détection de neutrinos, et réalisé des études préliminaires au moyen de détecteurs pilotes, en 2018, la collaboration FASER a estimé que le détecteur FASERν pouvait détecter plus de 20 000 neutrinos. Ces neutrinos auraient une énergie moyenne comprise entre 600 GeV et 1 TeV, en fonction du type de neutrinos produits. Il existe en effet trois types de neutrinos : le neutrino de l’électron, le neutrino du muon et le neutrino du tau ; la collaboration prévoit de détecter 1 300 neutrinos de l’électron, 20 000 neutrinos du muon et 20 neutrinos du tau.
« Parmi les neutrinos créés artificiellement, ces neutrinos auraient l'énergie la plus élevée jamais atteinte jusqu'ici ; leur détection et leur étude au LHC sera une étape importante en physique des particules, permettant aux scientifiques de réaliser des mesures très complémentaires dans le domaine de la physique des neutrinos », explique Jamie Boyd. « Qui plus est, le détecteur FASERν pourrait également ouvrir la voie à la mise en œuvre de programmes neutrinos auprès de collisionneurs futurs, et les résultats de ces programmes pourraient contribuer à l'élaboration de projets de détecteurs de neutrinos beaucoup plus grands. »
Le détecteur FASERν sera installé avant la prochaine période d'exploitation du LHC, qui débutera en 2021 ; il est prévu qu’il recueille des données tout au long de cette période.