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Les noyaux de plomb-208 ont la peau dure... Des scientifiques déterminent l'épaisseur de leur "peau" neutronique, à partir des données de collisions d'ions lourds au LHC

La première mesure de la peau neutronique du plomb-208 au moyen d’échanges faisant intervenir de façon prédominante des gluons pourrait donner des indices sur la structure des noyaux et des étoiles à neutrons

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When lead nuclei (left) are collided, the neutron distribution affects the shape of the quark–gluon plasma matter produced (middle), leaving measurable imprints in the distributions of detected particles (right).

Au moment de la collision de noyaux de plomb (à gauche), la répartition des neutrons influence la forme de la matière produite, constituée de plasma quark-gluon (au centre), laissant des empreintes mesurables dans les distributions de particules détectées (à droite). (Image : CERN)

Le plomb-208 a un noyau remarquable. Il est riche en neutrons, puisqu'il compte 82 protons et 126 neutrons. Il est aussi remarquable par sa structure : son centre est composé à la fois de protons et de neutrons, mais, à sa périphérie, se trouve une enveloppe diffuse constituée essentiellement de neutrons. Cette enveloppe est parfois appelée « peau » neutronique. L'étude de cette peau neutronique pourrait nous permettre de mieux comprendre la chromodynamique quantique, c'est-à-dire le comportement des quarks et des gluons (particules porteuses de la force forte) au sein du noyau. Elle pourrait également avoir des applications en astrophysique, en ce qui concerne la structure des étoiles à neutrons (l'étoile à neutrons est le noyau très dense qui demeure après qu'une étoile 10 à 25 fois plus massive que le Soleil a connu une explosion en supernova).

S'appuyant sur des données issues des exploitations avec ions lourds du LHC, des physiciens théoriciens au CERN ont pu déterminer l'épaisseur de cette peau neutronique du plomb-208, à savoir 0,217±0,058 femtomètres. Cette valeur concorde avec des mesures précédentes réalisées par d'autres collaborations par des méthodes différentes. Au total, l'équipe a utilisé 670 points de données issues des première et deuxième périodes d'exploitation du LHC, essentiellement de l'expérience ALICE, avec quelques données issues d'ATLAS et de CMS.

Mesurer l'épaisseur de cette peau neutronique n'est pas une mince affaire. On peut déterminer la structure des protons dans le noyau grâce au phénomène de la diffusion des électrons, mais, les neutrons n'ayant pas de charge électrique, il n'ont pas d'effet similaire sur les électrons. Cependant, les neutrons sont fortement sensibles à la force nucléaire forte, qui lie ensemble les quarks et les gluons au cœur des noyaux atomiques.

Lors de la campagne d'ions lourds du LHC, deux faisceaux de plomb-208 sont mis en circulation en sens opposé, et entrent en collision à de hautes énergies. Ces noyaux subissent une contraction de Lorentz avec des facteurs pouvant aller jusqu'à 2 500, ce qui signifie qu'ils sont « aplatis » comme des crêpes qui voyageraient à une vitesse proche de celle de la lumière. Au moment de la collision, en raison de l'énergie et de la pression énormes dans les noyaux en collision, les gluons qui maintiennent les quarks à l'intérieur des nucléons sont arrachés, créant une substance appelée plasma quark-gluon. Le plasma quark–gluon est l'état où l'on pense que se trouvait l'Univers juste après le Big Bang, et, d'après la théorie, c'est aussi ce qui se trouve au cœur des étoiles à neutrons.

Sous l'effet de la baisse de la pression et de la température dans le LHC, ce plasma se désintègre en particules, qui peuvent être suivies à la trace par les détecteurs du LHC, ce qui permet de révéler des propriétés du plasma quark-gluon. Dans le noyau de plomb 208, la répartition des protons et des neutrons détermine la taille et la forme du plasma quark-gluon. Ainsi, les physiciens peuvent « voir » la structure du noyau de plomb -208 et ainsi calculer l'épaisseur de sa peau neutronique.

C'est la première fois que l'épaisseur de la peau neutronique du plomb-208 est mesurée au moyen d’échanges faisant intervenir de façon prédominante des gluons. La collaboration PREX (Lead Radius Experiment) au laboratoire national Thomas Jefferson en Virginie, a obtenu en 2021 un résultat similaire, à savoir 0,283±0,071 fm. Cependant, cette valeur a été déterminée au moyen de techniques qui utilisent la force électrofaible, et non pas la force forte.

Ce qui est tout à fait passionnant avec cette nouvelle mesure, c'est qu'elle a été réalisée au moyen de données existantes uniquement, et que pourtant l'incertitude peut rivaliser avec celle d'autres mesures expérimentales, souligne Wilke van der Schee, du Département de physique théorique du CERN, qui est l'un des auteurs de la publication. Dans le futur, de nouvelles mesures ciblées pourront certainement améliorer la précision de l'extraction des données du LHC. »

« Le résultat permet de relier de façon inédite les recherches des physiciens de domaines apparemment éloignés, ajoute Giuliano Giacalone, de l'Université de Heidelberg, également l'un des auteurs de la publication. L'étude fait le lien entre des sujets qui relèvent des collisions nucléaires de haute énergie, des étoiles à neutrons, ou bien encore de la structure nucléaire. »


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