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Autopsie d’un absorbeur de faisceaux du LHC

Pour la première fois au CERN, l’autopsie d’un absorbeur radioactif a été réalisée : accéder au cœur du dispositif a permis d’en savoir plus sur le comportement des matériaux impactés par des faisceaux de haute énergie

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LHC External Beam Dump (TDE) autopsy in SX6
L’absorbeur de faisceaux est déposé dans le sas radiologique construit spécialement pour l’autopsie. (Image: CERN)

Pendant le LS2, les deux absorbeurs de faisceaux externes du LHC ont été extraits du tunnel pour être remplacés par les absorbeurs de réserve. Après dix ans de service, ils montraient en effet des signes de dégradation, notamment des fuites d’azote. Avant de prendre leur place, les absorbeurs de réserve ont été adaptés et améliorés pour éviter que les mêmes problèmes ne se reproduisent au cours de la troisième période d’exploitation (« Run 3 ») (voir cet article du Bulletin paru en 2020).

Pour en savoir plus sur l’origine des fuites d’azote, une endoscopie a été réalisée en juillet 2020. Elle a permis de mettre en évidence des fractures – inattendues – au niveau des deux disques en graphite extrudé de l’absorbeur (voir plus bas). Un plan d’action a alors été établi au sein du groupe SY-STI (Sources, cibles et interactions) : il fallait en savoir plus, notamment dans l’optique de la troisième période d’exploitation et en particulier pour la conception des nouveaux absorbeurs de réserve du LHC et des absorbeurs du HL-LHC. Or pour pouvoir accéder aux trois composants principaux de l’absorbeur – les graphites de haute et basse densité et le graphite extrudé (voir encadré) – une seule solution : procéder à « l’autopsie » de l’un des absorbeurs, ce qui, compte tenu de son niveau de radioactivité, était plus facile à dire qu’à faire.

« Pour accéder au cœur de l’absorbeur, encore fallait-il pouvoir l’ouvrir…, souligne Ana-Paula Bernardes, chef du projet. Son enveloppe en alliage d'acier inoxydable duplex est en effet extrêmement difficile à couper. Un premier essai a eu lieu en janvier 2021 dans le cadre d’un contrat-cadre, sans succès : impossible de procéder à une découpe manuelle sans dépasser les limites de doses de radiation. Nous avons alors envisagé de faire appel à une entreprise externe spécialisée, équipée pour cette tâche, mais les coûts et délais étaient incompatibles avec le projet. »

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Haut : test de découpe longitudinale avec la scie circulaire réalisé par le groupe SY-STI (Sources, cibles et interactions). Solution retenue pour la découpe de l’absorbeur radioactif. Milieu : mise en place de la scie circulaire automatisée montée sur son rail pour la première coupe radiale réalisée par des membres du groupe SY-STI. Bas : réalisation de la première coupe longitudinale.(Images : CERN)

Grâce à l’expertise et à la polyvalence des équipes du CERN, la solution a finalement été trouvée en interne : les groupes SY-STI et BE-CEM (Contrôles, électronique et mécatronique) ont travaillé en parallèle pour mettre au point deux techniques permettant de couper à distance l’enveloppe de l’absorbeur. La première, à l’aide d’une scie circulaire automatisée montée sur un rail ; la deuxième, à l’aide d’un bras robotisé muni d’une fraise.

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Test de découpe longitudinale avec le bras robotisé réalisé par le groupe BE-CEM (Électronique de contrôle-commande et mécatronique). (Image : CERN)

Plusieurs entraînements sur maquette ont eu lieu pour « chorégraphier » l’intervention et ainsi limiter au maximum le temps passé à proximité de l’absorbeur. Cinq découpes ont finalement été réalisées à la scie circulaire dans un sas radiologique créé spécialement pour l’occasion : deux découpes radiales pour isoler le bloc de graphite de basse densité, et trois découpes longitudinales permettant de retirer l’enveloppe en alliage d'acier inoxydable.

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L’enveloppe en alliage d’acier inoxydable hautement radioactive est retirée par des membres du groupe EN-HE (Ingénierie de la manutention) pour pouvoir accéder au graphite de basse densité. (Image: CERN)

« Comme l’endoscopie l’avait déjà montré, les deux disques en graphite extrudé étaient tous deux fissurés. Contre toute attente, le graphite de basse densité était en bon état général, de même que les blocs de graphite de haute densité », poursuit Ana-Paula Bernardes.

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Le disque de graphite extrudé situé en amont (premier à être percuté par le faisceau) est fissuré. (Image: CERN)

« Il était important que nous connaissions l’état des différents éléments de l’absorbeur et leur niveau de résistance, et ce pour différentes raisons, explique Marco Calviani, chef de la section Cibles, collimateurs et absorbeurs (STI-TCD) au sein du département SY. Tout d’abord, nous devions être sûrs que les absorbeurs actuellement en place dans le LHC – constitués des mêmes éléments que l’absorbeur autopsié – résisteront aux niveaux d’énergie de la troisième période d’exploitation ; ensuite, nous voulions savoir quelle stratégie adopter pour les deux nouveaux absorbeurs de réserve, que nous devons concevoir et produire d’ici à 2023, et surtout pour les absorbeurs du futur HL-LHC. »

Les résultats de l’autopsie ont ainsi permis de valider l’utilisation des graphites de basse et haute densité pour le Run 3, mais d’exclure le graphite extrudé pour la conception des absorbeurs de réserve. D’autres études sont actuellement en cours à l’installation HiRadMat (voir l’article correspondant intitulé « De quoi seront faits les futurs absorbeurs de faisceaux du LHC ? ») pour confirmer ces résultats et tester de nouveaux matériaux, notamment pour les absorbeurs du HL-LHC. Quid des absorbeurs actuellement en place ? « Les modifications apportées avant leur installation devraient grandement améliorer leur résistance pour la troisième période d’exploitation, même si l’énergie à dissiper passe de 320 MJ à 540 MJ, souligne Marco Calviani. N’oublions pas que les absorbeurs précédents ont tenu le choc 10 ans ! »


De quoi les absorbeurs du LHC actuels sont-ils faits ?

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(Image: CERN)

Les arrêts de faisceaux externes du LHC sont composés d’un absorbeur en graphite de 8,5 mètres de long et 722 mm de diamètre contenu dans un tube en alliage d’acier inoxydable 318LN de 12 mm d’épaisseur. L’ensemble pèse 6,2 tonnes.

L’absorbeur est composé de plusieurs blocs de graphite de différentes densités : du graphite isostatique de haute densité ; du graphite expansé de basse densité constitué d’un empilement de 1700 disques de 2 mm d’épaisseur, et deux disques de graphite extrudé (bandes noires), qui maintiennent l’empilement de graphite de basse densité.