Comment pousser plus loin les recherches de pointe en consommant moins d’énergie ? Les scientifiques du CERN planchent sur des solutions innovantes et la supraconductivité est l’une des clés pour y parvenir.
Une équipe a récemment testé avec succès une bobine d’aimant de démonstration qui permettra de réduire considérablement la consommation électrique de certaines expériences. La bobine utilise des câbles supraconducteurs à base de diborure de magnésium (MgB2) utilisés par les liaisons électriques de haute intensité qui alimenteront le LHC à haute luminosité (HL-LHC), le successeur de l’accélérateur LHC. Elle est montée dans un circuit magnétique en acier bas carbone qui referme et concentre les lignes de champ, dans une configuration dite « superferrique ».
Cet aimant novateur est destiné à l’expérience SHiP, conçue pour détecter les particules interagissant très faiblement et qui devrait entrer en service en 2031. L’un des deux aimants du détecteur doit produire un champ d’environ 0,5 tesla. Le champ a une intensité modérée, mais il faut le produire dans un énorme volume : 6 mètres de haut pour 4 mètres de large et de profondeur. Un électroaimant résistif classique afficherait une puissance électrique dépassant le mégawatt. Et comme l’aimant fonctionne en continu, la consommation serait élevée.
D’où l’idée d’utiliser un supraconducteur conduisant l’électricité sans résistance et donc sans perte d’énergie par échauffement. C’est sur ce principe que fonctionnent les aimants de l’accélérateur LHC. Ces derniers sont toutefois basés sur un alliage niobium-titane, qui nécessite de les refroidir à la température très basse de -271 °C (2 kelvins), au moyen d'hélium superfluide produit par une installation cryogénique complexe.
Les câbles en diborure de magnésium présentent l’avantage d’être supraconducteurs à -253 °C (20 kelvins). Ils peuvent être refroidis avec de l’hélium gazeux et requièrent par conséquent un système cryogénique moins complexe, offrant une meilleure efficacité thermodynamique. Ils ne pourraient pas être utilisés pour des aimants d’accélérateur tels que ceux du LHC, qui génèrent des champs d’environ 8 teslas. En revanche, ils sont appropriés pour un grand aimant à champ modéré comme celui de SHiP.
Construite en septembre dernier, la bobine de démonstration de 1 mètre de long vient de passer avec succès les tests de fonctionnement en étant refroidie avec de l’hélium gazeux, à des températures de 20 à 30 kelvins. S’il reste encore de nombreuses étapes avant que l’aimant de SHiP ne voie le jour, ces tests prometteurs ouvrent des perspectives pour cette technologie au CERN et dans l’industrie.
« Un tel aimant pourrait consommer jusqu’à 100 fois moins de puissance électrique qu’un aimant superferrique ordinaire, souligne Arnaud Devred, qui réalise le projet avec une équipe du groupe aimants au CERN. On pourrait par exemple envisager à plus long terme de rénover certains aimants en les dotant de bobines en MgB2 afin de réduire leur consommation en électricité. Ce projet constitue aussi une belle valorisation des développements technologiques du HL-LHC. »
Les liaisons supraconductrices du LHC à haute luminosité suscitent beaucoup d’intérêt car elles font appel à des supraconducteurs haute température dont l’utilisation à grande échelle permettrait de réaliser des économies d’énergie conséquentes dans de nombreux domaines, y compris dans la vie quotidienne. Grâce à ce développement très innovant, le champ d’application de cette technologie peut être étendu aux électroaimants. L’aimant du spectromètre de SHiP pourrait être l’une des premières applications.