Au sein de la plateforme neutrino du CERN, dans le Laboratoire du site de Prévessin (côté français), se trouvent deux très grands cubes encastrés dans une cage rouge. À l’intérieur, on trouve de vastes enceintes dans une enveloppe d’acier inoxydable. Ces grandes cuves, ce sont les modules cryostats de l'expérience ProtoDUNE. Bien qu'immenses, ils sont beaucoup plus petits que leurs successeurs, destinés à la grande expérience sur les neutrinos actuellement en chantier aux États-Unis : l’expérience DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment). La plateforme neutrino abrite aussi une station d'assemblage utilisée pour l'expérience Tokai to Kamioka (T2K), autre installation pour l'étude des neutrinos, cette fois au Japon.
Les neutrinos sont les particules les moins bien connues du Modèle standard. Alors que les neutrinos sont aussi les particules massives les plus abondantes dans l'Univers, leur masse est très faible et ils n'interagissent qu'à travers la force gravitationnelle et la force nucléaire faible, ce qui rend leur étude difficile. Et pourtant, ils pourraient apporter des réponses à des questions essentielles, et notamment expliquer pourquoi l'Univers est fait de matière, et où est passée l'antimatière. Les expériences dites « longue distance » sur les neutrinos, qui étudient comment les neutrinos oscillent entre plusieurs « saveurs » à mesure qu'ils parcourent de longues distances, permettraient de faire la lumière sur certains de ces mystères.
Une fois sa construction achevée aux États-Unis, l'expérience DUNE exploitera un faisceau de neutrinos, qui va parcourir 1 300 km à travers la croûte terrestre. Le faisceau, envoyé du Laboratoire national de l’accélérateur Fermi (Fermilab), près de Chicago dans l'Illinois, aboutira au Laboratoire de recherche souterrain de Sanford (SURF), situé 1,5 km sous terre à Sanford, dans le Dakota du Sud. Les détecteurs à l'arrivée sont de vastes cryostats remplis d'argon liquide. Lorsque les neutrinos interagissent avec les atomes d’argon, ce qui arrive rarement, une ionisation se produit. Les électrons libres et les ions d'argon sont ensuite séparés par un champ électrique qui traverse le détecteur. La forme du nuage d'électrons obtenu par ionisation est conservée et captée par les électrodes situées sur les parois du cryostat. On obtient ainsi des images des trajectoires de particules formées par les interactions des neutrinos, ce qui permet de déterminer les propriétés des neutrinos, telles que leur saveur ou leur masse. Ces détecteurs, qui utilisent une combinaison de champs électriques traversant un volume de fluide, sont appelés des chambres à projection temporelle.
Pour en revenir au travail accompli à Prévessin, en 2018, ProtoDUNE a été mis en marche pour la première fois. Les deux cryostats ont ensuite été testés jusqu'en 2021, le premier en configuration à phase simple (ProtoDUNE-SP), le second en configuration à phase double (ProtoDUNE-DP). La première période d’exploitation avait permis d'enregistrer plus de quatre millions d'interactions de particules, fournissant ainsi des informations essentielles sur les défis technologiques posés par l'expérience DUNE, et donnant le feu vert à la construction de l'expérience grandeur nature. Depuis janvier 2023, la plateforme neutrino du CERN se prépare pour la deuxième période d’exploitation des détecteurs de ProtoDUNE. Désormais, les deux cryostats sont monophasés. L'un mesure la dérive des électrons dans un champ électrique horizontal (ProtoDune‑HD), l'autre dans un champ électrique vertical (ProtoDune‑VD). Cette deuxième exploitation permettra de déterminer comment ces technologies pourront être intégrées à l'expérience DUNE. Les deux cryostats seront bientôt remplis d'argon liquide et ils commenceront à enregistrer des données dès le début de l'an prochain.
La plateforme neutrino abrite aussi la station d'assemblage pour l'expérience T2K. Cette dernière est opérationnelle depuis déjà plus de dix ans au Japon. Elle exploite un faisceau de neutrinos parcourant 295 km, de Tokai, sur la côte Est, à Kamioka, près de la côte Ouest, où se situe le détecteur Super-Kamiokande. En 2011, l'expérience T2K avait fourni les premiers indices probants d'oscillations de neutrinos muoniques en neutrinos électroniques, et a depuis vu des signes d’une asymétrie matière/antimatière dans les neutrinos. L'un de ses détecteurs, le ND280, est en phase d'amélioration. La collaboration T2K espère que sa nouvelle version permettra d'accroître l'efficacité de l'expérience et la précision de la reconstitution des oscillations des neutrinos.
L'amélioration du détecteur ND280 consiste en l'ajout de plusieurs sous-détecteurs, dont la plupart sont assemblés et testés à la plateforme neutrino. Parmi eux, on compte de nouvelles chambres à projection temporelle, dont l'une enregistre actuellement des données sur les rayons cosmiques au CERN. D'autres types de sous-détecteurs sont déjà installés au Japon, ou bien sur le point d'être assemblés à la plateforme neutrino. Le nouveau système de gaz du détecteur ND280 ainsi que certains sous-détecteurs indépendants ont entièrement été mis au point et testés au CERN. Restent l'assemblage, l'expédition et l'installation d'une chambre à projection temporelle pour l'expérience T2K. L'amélioration du détecteur ND280 devrait s'achever en 2023. Il est prévu que cette nouvelle version serve aussi à la future expérience Hyper‑Kamiokande (HyperK), prochaine génération d'expérience longue distance sur les oscillations neutrino.
Pour en savoir plus sur les neutrinos et l'expérience DUNE, rejoignez la retransmission en direct diffusée par le CERN, en collaboration avec le Fermilab et le SURF, le 15 juin à 18 heures HAEC.