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Le noyau du potassium perd de sa magie

Une nouvelle étude menée à ISOLDE révèle l’absence de signature d’un nombre « magique » de neutrons dans le potassium-51, ce qui remet en question le caractère magique supposé des noyaux à 32 neutrons

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The CRIS Collinear Resonance Ionization Spectroscopy (CRIS) experiment
Gerda Neyens, porte-parole d’ISOLDE, devant le dispositif de spectroscopie colinéaire par ionisation résonante (Collinear Resonance Ionisation Spectroscopy - CRIS). (Image: CERN)

Il semblerait que certains noyaux atomiques soient en train de perdre de leur magie. En effet, les dernières mesures de la taille des noyaux de potassium riches en neutrons ne révèlent aucune signature d’un nombre « magique » de neutrons dans le potassium-51, qui compte 19 protons et 32 neutrons. Ce résultat, obtenu par une équipe de recherche utilisant l’installation de physique nucléaire du CERN, ISOLDE, et présenté dans un article récemment publié dans la revue Nature Physics, remet en question certaines théories de la physique nucléaire et le caractère magique supposé des noyaux à 32 neutrons.

D’après la théorie, les protons et les neutrons occuperaient chacun une série de couches de différentes énergies au sein d’un noyau atomique, à l’instar des électrons qui remplissent dans un atome une série de couches de différentes énergies autour du noyau. Dans ce modèle nucléaire en couches, les noyaux dans lesquels les protons ou les neutrons forment des couches complètes, sans aucune place pour d’autres particules, sont qualifiés de « magiques », car ils sont plus fortement liés et plus stables que les noyaux voisins. On dit alors que le nombre de protons ou de neutrons dans ces noyaux est magique, et cette caractéristique est un élément fondamental de la connaissance des noyaux.

D’après de précédentes études, les noyaux contenant 20 protons, ou un nombre proche, et 32 neutrons, sont magiques compte tenu de l’énergie qu’il faut pour retirer une paire de neutrons du noyau ou pour porter le noyau à un niveau d’énergie supérieur. Cependant, des mesures de la variation subie par les rayons de charge des noyaux de potassium et de calcium riches en neutrons lorsqu’on leur ajoute des neutrons ont remis en question ce modèle : en effet, aucune diminution relative soudaine du rayon du potassium-51 et du calcium-52, qui ont tous deux 32 neutrons, n’a été mise en évidence. Une telle diminution, rapportée à celle mesurée pour des noyaux voisins qui ont moins de neutrons, indiquerait que 32 est un nombre magique de neutrons et que les noyaux de 32 neutrons sont donc magiques.

Une autre façon de mettre en évidence un nombre magique correspondant à 32 neutrons serait de mesurer une  augmentation relative soudaine du rayon des noyaux qui ont un neutron de plus, soit 33 neutrons. C’est la voie de recherche qu’a voulu explorer l’équipe responsable de la toute dernière étude d’ISOLDE. En combinant deux méthodes différentes, l’équipe de recherche d’ISOLDE a pu mesurer le rayon des noyaux de potassium riches en neutrons et appliquer les données obtenues au potassium-52, qui compte 33 neutrons. La première méthode est une technique de spectroscopie laser appelée spectroscopie colinéaire par ionisation résonante (Collinear Resonance Ionisation Spectroscopy - CRIS), qui permet d’étudier avec grande précision les noyaux riches en neutrons. La deuxième méthode est la détection de la désintégration bêta, qui suppose la détection des particules bêta (électrons ou positons) émises par les noyaux.

Les nouvelles mesures obtenues par ISOLDE n’ont montré aucune augmentation relative soudaine du rayon du potassium-52, et donc aucun signe de « magie » au niveau du neutron numéro 32.

L’équipe de recherche a ensuite intégré les données dans des modèles s’appuyant sur des théories de physique nucléaire de pointe, et constaté que ces théories se trouvaient alors remises en question. « Les modèles de physique nucléaire les plus performants à ce jour ne sont pas capables de reproduire les données de manière satisfaisante », explique Agi Koszorus, auteur principal de l’article. « S’ils réussissent à reproduire correctement un aspect des données, ils passent totalement à côté du reste », ajoute Xiaofei Yang, co-auteure principale.

« Cette étude met en évidence les limites de notre connaissance des noyaux riches en neutrons, souligne Thomas Cocolios, co-auteur. Plus on étudie ces noyaux exotiques, plus on se rend compte que les modèles ne parviennent pas à reproduire les résultats des expériences. C’est comme avoir une carte routière qui indiquerait uniquement des autoroutes ; dès que vous prenez un autre chemin, eh bien vous êtes perdu ».

« Ce résultat montre que nous avons encore beaucoup à faire pour comprendre le noyau atomique. C’est probablement le domaine le moins bien connu de la physique », conclut Thomas Cocolios.

Gerda Neyens, porte-parole d’ISOLDE, explique le dispositif CRIS et la nouvelle approche. (Vidéo : CERN)