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La collaboration ALPHA réussit un refroidissement par laser de l'antimatière

Les résultats ouvrent la voie à des études beaucoup plus précises de la structure interne de l’antihydrogène et de son comportement sous l’influence de la gravité

Alpha Experiment in 2016
Vue de l'expérience ALPHA (Image: CERN)

Genève, le 31 mars 2021. La collaboration ALPHA au CERN est parvenue à refroidir des atomes d’antihydrogène (la forme d’antimatière atomique la plus simple) au moyen d’une lumière laser. Cette technique de refroidissement par laser a été démontrée pour la première fois il y a 40 ans sur la matière ordinaire et le procédé est largement utilisé dans de nombreux domaines de recherche. Sa première application à l’antihydrogène par la collaboration ALPHA, décrite dans un article publié aujourd’hui dans Nature, ouvre la voie à des mesures bien plus précises de la structure interne de l’antihydrogène et de son comportement sous l’influence de la gravité. La comparaison de ces mesures avec celles de l’atome d’hydrogène, qui, lui, est bien connu, pourrait révéler des différences entre les atomes de matière et d’antimatière. Ces différences pourraient nous renseigner sur la raison pour laquelle l’univers est uniquement constitué de matière – phénomène connu sous le nom d’« asymétrie matière-antimatière ».

« La capacité d’opérer un refroidissement par laser sur des atomes d’antihydrogène est une révolution pour les mesures spectroscopiques et gravitationnelles. Elle pourrait également ouvrir de nouvelles perspectives pour les recherches sur l’antimatière, notamment la création de molécules d’antimatière et le développement de l’interférométrie basée sur des antiatomes, souligne Jeffrey Hangst, porte-parole de la collaboration ALPHA. C’est absolument fabuleux. Il y a une dizaine d’années, le refroidissement par laser de l’antimatière semblait relever de la science-fiction. »

L’équipe d’ALPHA produit des atomes d’antihydrogène en recueillant des antiprotons du Décélérateur d’antiprotons du CERN et en les liant à des positons provenant de l’isotope Na-22. Elle emprisonne ensuite les atomes d’antihydrogène qui en résultent dans un piège magnétique, qui les empêche d’entrer en contact avec la matière et d’être annihilés. L’équipe peut ensuite procéder à des études spectroscopiques, qui consistent à mesurer la réponse des antiatomes au rayonnement électromagnétique – lumière laser ou micro-ondes. Ces études ont notamment permis à l’équipe de mesurer avec une précision inégalée la transition électronique 1S-2S dans l’atome d’antihydrogène. Toutefois, la précision de ces mesures spectroscopiques et des futures mesures prévues du comportement de l’antihydrogène dans le champ gravitationnel de la Terre lors des expériences en cours est limitée par l’énergie cinétique, qu’on peut comparer à la « température » des antiatomes.

C’est là qu’intervient le refroidissement par laser. Dans cette technique, les photons du laser sont absorbés par les atomes, qui passent alors à un état d’énergie plus élevée. Les antiatomes émettent ensuite les photons et reviennent spontanément à leur état initial. Comme l’interaction dépend de la vitesse des atomes et que les photons transmettent l’impulsion, la répétition de ce cycle d’absorption-émission entraîne le « refroidissement » des atomes. 

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs de l’équipe ALPHA sont parvenus à refroidir par laser un échantillon d’atomes d’antihydrogène retenus dans un piège magnétique. Ils ont ainsi fait passer à plusieurs reprises les antiatomes de l’état d’énergie la plus basse (l’état 1S) à l’état d’énergie la plus élevée (2P) grâce à une lumière laser pulsée à une fréquence légèrement inférieure à celle de la transition entre les deux états. Après une exposition de plusieurs heures des atomes piégés, les chercheurs ont observé une diminution supérieure à un facteur 10 de l’énergie cinétique médiane des atomes, une grande quantité d’antiatomes atteignant des énergies inférieures à un microélectronvolt (l’équivalent en température étant environ 0,012 degrés au-dessus du zéro absolu).

Après avoir réussi à refroidir les antiatomes par laser, les chercheurs ont étudié l’incidence de ce refroidissement sur une mesure spectroscopique de la transition 1S-2S. Ils ont alors observé une raie spectrale plus étroite, à savoir quatre fois plus étroite que celle observée sans refroidissement au laser. 

« Notre démonstration du refroidissement par laser des atomes d’antihydrogène et son application à la spectroscopie 1S-2S est le couronnement de nombreuses années de recherches sur l’antimatière et des développements du Décélérateur d’antiprotons du CERN. C’est de loin l’expérience la plus difficile que nous ayons jamais menée », déclare Jeffrey Hangst.

« Par le passé, les chercheurs ont eu du mal à refroidir l’hydrogène ordinaire par laser. Arriver à ce résultat avec l’antihydrogène, c’était ce dont nous rêvions depuis des années, affirme Makoto Fujiwara, le premier à avoir défendu l’idée d’utiliser un laser pulsé pour refroidir l’antihydrogène piégé par l’expérience ALPHA. À présent, nous pouvons rêver à réaliser des choses encore plus folles avec l’antimatière. »


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